[Satire à vue] La promesse de la chenille n’engage pas le papillon (une chronique de Top Sylla) 

« Les promesses n’engagent que ceux qui y croient ».
L’expression aurait pour origine la malice d’un barbier qui eut l’idée, un beau matin, de placer à l’entrée de son échoppe (son salon de coiffure, si on veut) une grande pancarte annonçant  : « demain on rase gratis ».
Mais notre bonhomme, pas totalement idiot et près de ses sous, l’y laissait tous les jours. Par conséquent, le client qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s’étonnait de devoir quand même payer, s’entendait répondre : « oui, mais il y a écrit que c’est demain que c’est gratuit ».

Face à la CEDEAO, la junte qui tient le gouvernail en Guinée n’a pas brandi de pancarte. Elle s’est juste contentée, probablement avec une lueur malicieuse dans le regard, de signer un accord pour un retour à l’ordre constitutionnel au terme d’une période de 24 mois. En court-circuitant au passage la charte concoctée par elle-même et imposée à tous sans consulter quiconque.
Lancé en janvier 2023, le compte à rebours devait donc s’arrêter à la fin de l’année en cours. Cependant, n’étant pas moins futés que notre barbier, les signataires ont pris le soin d’ajouter l’adjectif “dynamique” à leur accord, signifiant ainsi qu’il est flexible et peut donc être ajusté en fonction des circonstances.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, le premier ajustement est passé presque inaperçu, sans susciter de buzz. Révélé par “le seul maître à bord après Dieu” lors de ses vœux du nouvel an, il s’agit de l’annonce d’un référendum constitutionnel en 2024. Cela reporte pourtant, sans le dire explicitement, les autres étapes électorales (locales, législatives et présidentielles). Ce qui aurait dû déjà alerter ceux qui poussent aujourd’hui des cris d’orfraie, alors qu’une prolongation de la transition semble maintenant inéluctable.

Pour autant, nous ne sommes pas plus avancés quant à la date à laquelle cette transition prendra réellement fin. En 2025 ou en 2026 ? Dans cinq ans ou plus, comme souhaité dans d’autres pays africains en transition ?
Sur ce sujet précis, même Bah Oury, réputé pour avoir réponse à tout et récemment nommé Premier ministre, préfère donner sa langue au chat. Du haut de la Primature, avec tous les privilèges allant avec, il n’aurait de toutes façons aucune raison de voir d’un mauvais œil un rallongement de la transition. Pas certain du tout qu’avec un retour à l’ordre constitutionnel notre bonhomme trouve un strapontin aussi intéressant que le palais de la Colombe. Alors autant pour lui continuer à inaugurer des chrysanthèmes et débiter des promesses mirifiques à tout-va.
Surtout qu’en ce qui concerne la Présidence de la République, pour qu’il y dépose ses bagages il faudrait qu’il soit… nommé par décret ! Ce qui en dit long sur ses chances…

GALÈRE PAR-CI, MANIPULATION PAR-LÀ, INCERTITUDES PARTOUT

Presque trois ans après la mise en bière du pouvoir d’Alpha Condé, et pendant que la gueule de bois succède à l’euphorie des premières ivresses de la transition, ça trinque quasiment partout :
– EDG est en surtension à cause notamment des factures impayées qui s’entassent (y compris celles des ministères) et du manque d’eau dans les barrages hydroélectriques. Le courant se fait désirer dans les maisons, et lorsque des citoyens qui voient rouge manifestent contre les délestages il y a souvent de l’électricité dans l’air. Il est courant alors que des pandores ou des poulets pètent les plombs.
– les tenanciers de maquis, bars et autres lupanars broient du noir du fait de la rareté des clients et du jus d’EDG, ce qui met les brasseurs et distributeurs sous pression. Tandis que les proxénètes sont sur la paille, les prostituées, elles, traversent une mauvaise passe.
– Les femmes maraîchères sont dans les choux et la ménagère, dont le panier est désespérément en berne, ne veut plus que le gouvernement lui raconte des salades. Le prix de la viande galope à cause des bouviers et des bouchers qui ne songeraient qu’à défendre leur bifteck, tandis que boulangers et pâtissiers ont du pain sur la planche parce que confrontés à des problèmes croissants. Pendant ce temps, de nombreuses fermes avicoles dans les environs de Dubréka et ailleurs ont disparu. Le secteur bat de l’aile, des éleveurs de volaille craignant de se faire plumer se défendent bec et ongles en pensant être les dindons de la farce.
– dans le monde de la musique, hormis quelques petits malins qui savent à qui dédier des clips laudatifs pour récolter beaucoup de blé et parfois un 4×4 rutilant, la plupart des chanteurs ont fini par déchanter.
– En proie au chômage et en l’absence de perspectives, des ados prennent la clé des champs au péril de leur vie, découragés de ne pas voir les portes de l’emploi s’ouvrir enfin pour endiguer le péril jeune.
Et dire, on s’en doute, que le catalogue n’est pas exhaustif.

Dans ce merveilleux pays qu’est la Guinée, des surprises pourraient émailler la suite de la transition. Pour l’heure, que d’interrogations dans un climat lourd d’incertitudes !
Est-ce que même le référendum annoncé aura lieu cette année, alors que le projet de constitution n’est toujours pas dévoilé ? De quoi aura l’air cette dernière, surtout que l’on nous a promis quelque chose de vraiment original ?
D’ailleurs, la promesse d’un retour à l’ordre constitutionnel, dans le sens où on l’entend depuis le début du processus démocratique en Guinée dans les années 1990, est-elle conciliable avec l’engagement fait par qui on sait devant le monde entier, dans le Palais de verre de l’ONU à New York : celui de jeter aux orties la “démocratie à l’occidentale” et se tourner vers une forme purement africaine (voire guinéenne) qui reflète mieux nos réalités ?

LA TRANSITION DANS UN LABYRINTHE SANS BOUSSOLE NI FIL D’ARIANE

Les quelques bribes lâchées par des personnalités censées être dans les secrets du palais Mohammed V, auraient prêté à sourire n’eut été la nature et l’importance des enjeux.
Dans un moment d’enthousiasme, le président du CNT (un avatar du parlement) a affirmé que grâce à la nouvelle constitution, “ce ne seront plus les mêmes qui gagneront les élections” ! Bien que certains aient pensé à ce dirigeant politique, cette déclaration ne devrait cependant pas viser le président de l’UGFG, principal parti d’opposition sous l’ancien régime. En étant constamment le premier parmi les perdants lors de plusieurs scrutins qu’il juge frauduleux, Cellou Dalein Diallo a même été surnommé par ses détracteurs le Raymond Poulidor de la course à la Présidentielle en Guinée, en référence à ce célèbre coureur cycliste français souvent arrivé second lors du Tour de France.
De son côté, le ministre des Affaires étrangères a cru faire une révélation percutante, probablement au nom d’un souverainisme douteux, en soulignant qu’il ne saurait en aucun cas question de faire un copié-collé du code napoléonien ! Morissandan Kouyaté ignorerait-il que ce dernier n’était pas une constitution mais plutôt un code civil (règles en matière de mariage, de succession, de propriété, de divorce, etc.) ?

Bon, après tout ne vivons-nous pas qu’une simple parenthèse, comme le pays en a connue dans un passé plus ou moins récent ? De toutes les façons, ce qui est fait aujourd’hui par des autorités de transition non élues (lois, décrets, réformes, décisions…) sera demain susceptible d’être défait par celles légales et légitimes (issues du vote des Guinéens) qui leur succéderont. Les promesses de la chenille n’engagent pas forcément le papillon.

par Abdoulaye Top Sylla, journaliste émérite

Leave A Reply

Your email address will not be published.