
Il était une fois un navire publicitaire, fier et fringant, qu’on appelait autrefois l’OGP. Un bateau d’État censé réguler les flots des affiches, des spots et des slogans criards sur tout le territoire guinéen. Oui, censé. Car à force de ramer à contre-courant, sans boussole ni capitaine digne de ce nom, le navire avait fini par dériver. Lentement. Puis brutalement. Jusqu’à ce qu’un jour, on se rende compte qu’il n’y avait plus de carburant, plus de cartes, plus d’équipage motivé, plus rien. À peine de quoi acheter un sachet d’eau glacée pour le vigile de nuit : 146 000 GNF dans la caisse. On a vu naufrage plus élégant.
C’est dans cette ambiance de radeau de la Méduse que débarque, le 20 décembre 2024, un homme au calme olympien mais à la détermination froide : Aladji Cellou Camara. Un ancien journaliste, pas du genre à faire du buzz, mais plutôt à faire le boulot. Et visiblement, le boulot, il connaît. En cent jours chrono, il entreprend de sauver le bateau OGP du fond des abysses où il avait été échoué — volontairement ou pas, l’Histoire jugera.
Les dettes ? Un Everest. La motivation ? Une crevasse. Et pourtant…
Il faut avoir l’estomac bien accroché pour lire les chiffres laissés par l’ancien équipage : 42 milliards de dettes fiscales (non, ce n’est pas une faute de frappe), 3,5 milliards à la CNSS, 35 milliards aux fournisseurs et partenaires — dont une belle part aux régies publicitaires qui, elles aussi, vivaient sous perfusion. Ajoutez à ça six mois d’arriérés de salaires, une comptabilité aussi floue qu’un selfie pris dans le brouillard, et un personnel qui avait depuis longtemps rangé l’enthousiasme au vestiaire. Le décor est planté : l’OGP tenait plus du cimetière administratif que d’une régie dynamique.
Mais voilà : Cellou ne vient pas pour pleurer sur les bilans passés. Il retrousse les manches, convoque le bon sens, et met en œuvre une stratégie de redressement en quatre temps. Assainir. Réorganiser. Moderniser. Reconnecter. Quatre verbes, quatre moteurs pour remettre à flot ce rafiot publicitaire.
Un capitaine à la barre, des résultats sur le pont
Première manœuvre : arrêter l’hémorragie. Fini le billetage folklorique des salaires — la paie passe désormais par la banque. Les fiches de paie redeviennent des documents officiels, pas des promesses de campagne. Il amorce le remboursement des dettes, règle plusieurs mois de salaires impayés, signe un accord fiscal avec les impôts pour payer doucement mais sûrement.
Il parle avec la CNSS, dialogue avec les fournisseurs, et surtout, il rend visibles les efforts : bureaux neufs à Taouyah, organigramme propre, manuel de procédure, digitalisation de la comptabilité. À ce rythme, on se croirait presque dans une administration du futur. Presque.
Il n’oublie pas le nerf de la guerre : les recettes. Alors il sécurise, recouvre, démantèle les panneaux sauvages, relance les régies endormies, sensibilise les annonceurs. Et pendant ce temps, les réunions hebdomadaires remplacent les bavardages de couloir. À l’intérieur, on retravaille. À l’extérieur, on commence à y croire.
Et maintenant ? La croisière peut-elle vraiment s’amuser ?
Rien n’est gagné, évidemment. Les dettes sont encore là, les défis nombreux, les poches de résistance encore actives. Mais la trajectoire a changé. On n’est plus dans la dérive, on est dans la manœuvre. Et ça, c’est déjà énorme.
Alors, bien sûr, on pourrait dire que 100 jours, c’est court. Mais dans un pays où le temps administratif se mesure parfois en décennies d’atermoiement, ces cent jours ressemblent à une secousse tectonique. Celle d’un homme, discret mais solide, qui a décidé qu’une régie publique pouvait encore fonctionner. Oui, fonctionner. En Guinée.
Et si on lui laisse la barre, peut-être qu’un jour, l’OGP cessera d’être un sujet de plaisanterie pour devenir ce qu’elle n’a jamais vraiment été : une institution efficace, moderne et respectée. On n’en est pas encore là, mais disons qu’aujourd’hui, au moins, le bateau flotte.
Par Sambégou Diallo