Lettre ouverte aux Guinéens : une transition réussie ou le chaos, nous avons le choix

Le professeur hors-classe Lamarana Petty Diallo ouvre cette longue lettre aux Guinéens de tous les horizons. Il adresse à tous un message de bonne et heureuse année 2024 plein de sens patriotique en termes de tradition de rencontres qui les unit sous le toit Guinée, de joies partagées et rêves à ne pas briser afin de sortir du bal des hypocrites. Son vœu le plus ardent est que la transition en cours ne foire ni ne se prolonge. Bonne lecture !

L’année 2024 est une année cruciale, presque vitale pour notre pays. Elle l’est, à l’image de 2009, une année de pile ou de face. Elle devrait ouvrir, c’est notre souhait, une voie lumineuse pour notre peuple.

Simples citoyens, responsables politiques, de la société civile, personnalités religieuses ou traditionnelles, dirigeants en place, nous devons tous œuvrer pour que cela soit.

Ce message est un vœu personnel et profondément patriotique qui s’adresse à tous les Guinéens au masculin comme au féminin. De quelque origine sociale, de quelque profession, orientation politique ou appartenance religieuse que vous êtes, chers compatriotes, je m’adresse à vous. Au-dessus de tout clivage de quelque nature que ce soit, ces mots vous sont destinés individuellement et collectivement.

Je voudrais vous dire que 2024, pourrait nous permettre de rattraper les erreurs du passé. Cela est possible si nous mettions plus l’accent sur les enjeux du présent et de l’avenir en empruntant l’unique voie qui vaille : celle du dialogue.

Conscient que le dialogue, l’arme des forts, l’épouvantail des faibles,  est la seule solution, nous voudrions ajouter à nouveau notre voix à celles d’autres. Notre espoir, qu’elle soit un plus dans notre volonté de façonner un futur commun qui tienne compte des leçons du passé.  Un passé qui, faut-il le reconnaître,  n’a pas toujours été inspirant.

Un regard rétrospectif : une tradition de rencontres

Nous avons connu une infinité de dialogues, de rencontres, d’assises et d’accords. Le premier d’entre-eux, celui de 2006-2007 entre les syndicats et le président Lansana Conté permit de mettre en place le gouvernement de consensus de mars 2007. En 2008-2009, le dialogue impossible entre le Comité national pour le développement et la démocratie (CNDD), les acteurs politiques, les syndicats et la société civile regroupés sous la bannière des Forces vives.

Les accords tripartites du 15 janvier 2010 dits « Accords de Ouaga » entre le capitaine Dadis, le général Konaté et Blaise Compaoré alors président du Burkina Faso qui fixèrent la période de la transition devant conduire à des « élections libres et transparentes ». Les dialogues de 2011 à 2021 entre le pouvoir d’Alpha Condé et les acteurs évoqués plus haut et qui, depuis avril 2019 opèrent sous les directives du Front national pour la défense de la constitution, (FNDC).

Le cadre du dialogue inclusif mis en place en septembre 2022 entre la classe politique et le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD),  est la dernière initiative en l’espèce.

Les lendemains : joies partagées ou rêves brisés ?

De toutes ces initiatives et retrouvailles au sommet, laquelle a produit les effets attendus en mettant fin à telle ou telle crise? S’il y a eu, en 2007, un gouvernement de consensus, nous savons tous qu’il a conduit à une guerre ouverte entre le président de l’époque et son bouillant premier ministre dont on reprochait« l’avidité du pouvoir ».

La sourde oreille et la folie de grandeur du président du CNDD mena notre pays au 28 septembre 2009 dont les conséquences tragiques continuent de peser sur notre histoire.

Les accords de Ouaga, dont les Forces vives n’avaient pas été associées même si le premier ministre de la transition fut l’un des leurs, conduisirent aux présidentielles de juin et novembre 2010. Cependant, il est bien connu, qu’élection n’a jamais été plus opaque et contestée.

A force de violer les accords politiques et de prendre ses adversaires pour des abrutis à qui l’on présente le miel la veille et la ciguë le lendemain, l’homme aux innombrables casquettes (opposant historique, président -professeur ou inversement, le Mandela de Guinée, l’homme du troisième mandat) finit par tomber dans l’escarcelle des Forces spéciales.

A ce jour, les conclusions du cadre de dialogue inclusif semblent bien enfermées à double tour quelque part au sein de notre administration. Les raisons sont sûrement multiples. L’une d’entre-elles pouvant être le fait qu’on ait confié à la hyène un morceau de viande et qu’on lui demande de le partager.

Tous les accords faussés, non respectés, violés ou inaboutis ont été payés au prix fort par les Guinéens : destruction de biens, des centaines de blessés,  d’estropiés, de mutilés, de handicapés à vie ; des viols, des morts par centaines.

Nous pouvons éviter de tels scénarios tragiques à condition que nous prenions conscience. Par conséquent, nous avons tous le devoir d’empêcher la répétition de l’histoire en nous posant les bonnes questions.

Des raisons de nos difficultés à nous entendre

Depuis 1958, notre pays et notre peuple ont résisté à toutes sortes d’épreuves et de crises. Mais, combien de temps pourront-ils tenir si, à chaque épreuve succède le pire ? Si,  chaque nouveau dirigeant nous fait regretter celui que nous avions traité de tous les noms d’oiseaux et maudit dans toutes les langues ?

Demandons-nous, pourquoi tant de tentatives de dialogue ont été ratées ? Certes, toutes les nations connaissent des hauts et des bas ; des heurs et malheurs qui jalonnent leur histoire. Que nul ne peut évoluer en linéarité et, en cela, notre pays ne peut faire l’exception.

Cependant, sur le plan politique, l’exception guinéenne existe, atypique et difficilement contestable. Elle a des constantes qui nous collent à la peau : se réunir, parler, faire semblant de s’entendre pour paraître sans jamais appliquer les clauses. Du moins, très rarement. Nous devons sortir de cette situation. Pour ce faire, nos dirigeants qui nourrissent l’espoir des populations qui les applaudissent, les ovationnent, les soutiennent à leur arrivée au pouvoir doivent incarner l’avenir et satisfaire nos aspirations.

Il va falloir également que cesse la reproduction du même mode de gouvernance quel que soit le type de régime, civil ou militaire, afin que les nouveaux gouvernants corrigent, au lieu d’aggraver, les erreurs du passé. Tels que le recyclage de cadres parmi les plus véreux, les plus corrompus pour prétendre changer les habitudes : ethnocentrisme, corporatisme, clientélisme, gabegie, etc. 

Il est temps de promouvoir, dans les structures appelées à organiser le dialogue et la réconciliation, des personnalités neutres capables de résister à toute forme de tentation politique. De telles personnalités sont les seules qui soient aptes à remettre en cause les positions du pouvoir, des partis politiques ou d’autres acteurs pour une sortie de crise.

Pour sauvegarder l’intérêt supérieur de la nation, les acteurs de la vie nationale doivent cesser de s’opposer inutilement et opter pour le consensus. Le refus ou l’incapacité d’intégrer cette nécessité explique que la concertation réussie ait rarement été une valeur productive de la gouvernance guinéenne.

Enfin, les responsables au sommet de l’Etat devraient éviter de se fabriquer des opposants par le petit bout de la lorgnette,  c’est-à-dire, de manière subjective, à partir de manigances de petits politiciens sans envergure qui ne cherchent qu’à exister sur les décombres de notre unité.

Si de tels facteurs qui freinent notre avancée vers l’unité et l’entente étaient pris en considération, très certainement les pouvoirs civils et militaires qui ont jalonné notre histoire seraient parvenus à rassurer et à diriger sereinement.  Ils auraient mis fin à cette tradition qui réduit la durée du mariage entre les Guinéens et leurs dirigeants au temps d’une noce : une nuit exaltée pour des lendemains qui déchantent.

Les éléments évoqués et qui sont historiquement, socialement et politiquement vérifiables de notre réalité nationale ne sont pas porteurs d’un envol démocratique, économique et politique. Ils ne sont guère propices à un climat de confiance qui puisse favoriser un dialogue franc et durable.

Nous devons sortir du bal des hypocrites

Nos responsables politiques, de la société civile et les gouvernants actuels doivent cesser de jouer à l’Autriche en optant pour un franc jeu. Ils doivent mettre la balle à terre pour repartir du bon pied.

Les coups de canif ne nous sortiront jamais de notre situation. Ils ne l’ont pas fait hier et ne le pourront pas dans la transition actuelle. Ce ne sont pas, non plus, les adeptes du troisième mandat qui nous font assister à toutes sortes de plagiat du «I have a dream » ( Je fais un rêve) de Martin Luther King et qui se donnent en spectacle en remettant en cause, dans un vocabulaire ordurier, nos liens matrimoniaux ou de parenté ni ceux qui tentent de légitimer leur soutien aux violences du pouvoir défunt qui pourraient être les sauveurs de la transition.

Une fois de plus, ils ne feront qu’aggraver les malheurs de notre pays. De telles personnes, l’histoire nous en donne la preuve, ont toujours induit les pouvoirs en erreur. 

Ils font du pied à la transition en rêvant de remaniement.

La plupart des dirigeants de notre pays, de 1958 à 2021 se sont heurtés à la même pratique de gouvernance et à bien d’éléments soulevés ci-haut à cause du choix de personnes. Les uns et les autres sont tributaires de ce que nous sommes: un pays insaisissable. Un peuple imprévisible mais tolérant. Une majorité souvent brave pour une minorité néfaste.

Nous avons l’habitude de dire que nous sommes tous héritiers et victimes des dirigeants que nous avons fabriqués. Que nul n’est démocrate dans le sang ni dictateur. C’est souvent les gens qui fabriquent leur démocrate et leur dictateur pour continuer à les applaudir ou s’en plaindre.

Tout indique que nous sommes plus aptes à générer la dernière catégorie de dirigeants. En clair, nous ne sommes pas souvent innocents de notre sort. Cela ne signifie aucunement que nous sommes tous coupables. Cependant, nous devrions reconnaître, à défaut d’accepter, que nos dirigeants sont porteurs du fardeau commun dont nous avons en héritage.

Ils sont, à bien d’égards, le reflet de ce que nous sommes ; de ce que nous en avons fait. Ils sont plus coupables parce qu’ils exercent un pouvoir dont l’image, si ce n’est la nature, a été consciemment ou inconsciemment façonnée ensemble. Nous pourrions dire que nous avons longtemps planté du piment avec nos dirigeants et en toute connaissance de cause pour leur demander de nous servir une cruche de miel.

Nous devons faire sauter les verrous

Du grain pur ne saurait sortir d’un mortier dont les pileurs se cachent les aisselles. Ceux qui parlent de pouvoir, d’élections, de sortie de transition, de retour à l’ordre constitutionnel et ceux qui tiennent actuellement les rênes du pays devraient cultiver la confiance pour que notre peuple goûte enfin sa saveur : unité, démocratie, développement économique, etc.

Cela ne pourrait se produire quand les uns se plaignent d’être forcés à l’exil, d’autres de harcèlement ou de menaces, certains d’avoir été grugés par les facilitateurs du cadre du dialogue inclusif alors que le pouvoir avance des arguments opposés. Sans confiance, chacun se braque et se calfeutre dans sa tour d’ivoire. Pourtant, nous sommes en transition qui est une passerelle entre deux pouvoirs : militaire et civil dont l’issue tient du dialogue.

Nous demandons à ce qu’on fasse sauter le verrou qui sépare les deux bords de la vie politique de notre pays. Au cas contraire, nous nous exposons à des risques qui pourraient être préjudiciables pour tout le monde.

Les premiers concernés pouvant être les aspirants au pouvoir. Si, par tout effet du sort, cette transition n’aboutissait pas, ils devraient se dire que leur accès aux responsabilités pourrait attendre pour bien longtemps.  Si le rêve des militants, à force de patienter, se transformait en désillusion, de nouvelles voies pourraient surgir de leurs propres rangs.

A se demander si certaines ne sourdent pas là où ils s’attendent le moins tant en politique labourer pour l’autre pourrait bien être préparer sa propre semence.  En tout état de cause, certains prétendus adversaires qui manœuvrent à ciel ouvert peuvent être moins dangereux que les encagoulés de l’intérieur.

Les tenants du pouvoir actuel n’ont pas la plus confortable des positions. Jongler ne les arrangerait point, car à un moment ou un autre, le peuple voudra quelque chose de clair.

Autant dire que ceux qui se positionnent et les détenteurs du système doivent épargner notre peuple de tout scénario improbable pouvant exposer à des lendemains incertains. Tous devraient contenir leur divergence afin que la balance penche en faveur des intérêts supérieurs de la nation. Pour cela, un choix s’offre.

Une transition qui ne foire ni ne se prolonge mais pacifique, de durée raisonnable

Le risque pour lequel nous lançons une mise en garde, en tout cas, une alerte, est la suivante :  l’échec de la transition.

Nous avons tous intérêt à ce que la transition aille à son terme dans les conditions qu’elle s’est elle-même définies. Nous n’avons aucun intérêt qu’elle foire ; qu’elle se prolonge dans un ordre non souhaité.  Sinon nous pourrions encore ajouter autant d’années, peut-être bien plus encore, que celles qui se sont écoulées depuis 2021, pour espérer des élections et le retour à un pouvoir civil.

Il faudrait également que la transition n’est aucune velléité de perdurer sur ses propres initiatives. Cela ressemblerait à un forcing : une tentative qui risquerait, l’expérience le prouve, d’être vouée à l’échec. Il faudrait une transition pacifique, d’une durée raisonnable car la meilleure des transitions, c’est celle qu’on mène au plus tôt à bout. Les transitions permanentes ou qui se voudraient comme telles ont été souvent prises de court.

En outre, l’expérience montre que les partis politiques sont souvent faibles, parfois vulnérables tant qu’ils croient que c’est un leader adverse qui risque de leur ravir le pouvoir.  Mais, ils ne sont jamais aussi forts lorsqu’ils réalisent tous ensemble que le pouvoir leur échappe.  Dans ce cas, ils sont à l’image d’un phénix capable de renaître de leurs cendres et de se coaliser.

Par conséquent, nous devons tout faire pour éviter un scénario de divergence aggravé entre transition et acteurs politiques.

La coalition de forces opposées dans notre pays et qui se regardent en chien de faïence n’est profitable à personne. Une raison de plus pour que les personnalités politiques de notre pays se mettent à la hauteur des enjeux et des aspirations des Guinéens.

Nous réussirons le dialogue et la réconciliation si nous mettons en avant ce que nous fûmes, avons été et souhaitons devenir dans l’histoire des peuples. Pour ce faire, nous devons nous souvenir que notre indépendance a illuminé toute l’Afrique et au-delà. Que cette indépendance est notre fierté. Notre identité de Guinéen dans et face au monde.

Si nous y arrivons, nous serons capables de dialoguer afin que les tenants du pouvoir d’aujourd’hui le cèdent à d’autres de manière légale, raisonnée et pacifique. Dès lors, ceux qui l’auront demain, continueront cette tradition d’alternance politique apaisée susceptible de parer à toute instabilité. C’est la seule manière de clore les errements du passé pour entrouvrir les portes d’un futur commun fait de joie et de bonheur partagés.

Tel est notre souhait pour notre peuple et notre nation.

Mes pensées émues aux victimes de l’explosion du dépôt de carburant de Kaloum. A leurs familles et au peuple de Guinée.

Par Lamarana Petty Diallo

lamaranapetty@yahoo.fr

Leave A Reply

Your email address will not be published.