Derrière toutes les formules creuses et ronflantes brandies par le CNRD et son gouvernement (justice-boussole, refondation de l’État, rectification des institutions, tuer l’ethnie) quel type de société donnent-ils réellement à voir au peuple de Guinée ?
À y regarder de près, on se rend compte qu’au-delà de ces mots flatteurs et ambitieux, une réalité peu reluisante se fait jour au fur et à mesure que la transition avance. Je me propose de passer en revue deux séries de caractéristiques qui révèlent le vrai visage du régime incarné par cette junte militaire.
- Les premiers traits de caractère qui se dégagent des activités des autorités de la transition, c’est l’arbitraire et l’unilatéralisme.
Comme dans les royaumes et empires d’antan, la seule volonté du roi Mamadi Doumbouya 1er et du CNRD est aujourd’hui érigée en principe de l’action publique au détriment des lois et règlements de la République. Il a suffi qu’il annonce son mécontentement à l’égard du supposé manque d’efficacité de la commission interministérielle de récupération des biens de l’État, pour qu’un communiqué soit aussitôt publié pour annoncer les premières zones concernées par cette démarche, suivi de courriers, laconiques et mal rédigés, adressés à des personnes choisies sur des critères inavouables, les sommant de libérer leurs propriétés. Et pourtant, le code foncier et domanial en vigueur en Guinée donne compétence à la seule justice civile – gardienne du droit de propriété – pour trancher les litiges se rapportant aux biens du domaine privé de l’État qui ont préalablement fait l’objet de cession. En somme, aux lois de la République, sont substituées les volontés d’une minorité et cette même minorité se substitue à la justice.
Mieux, il a fallu que le roi Mamadi Doumbouya 1er annonce en conseil des ministres vouloir examiner plus en détails les situations des personnes concernées par ces opérations de récupération des biens de l’État, situées à la cité ministérielle, que d’autres courriers de la direction générale du patrimoine bâti public ont été adressés à certaines familles pour les informer de la régularité de leurs situations, sans que l’on ne sache là encore, selon quels critères, ni au regard de quelles dispositions législatives et règlementaires cette régularité a été vérifiée.
Le bon sens minimal aurait pourtant commandé que tous les dossiers concernés soient logés à la même enseigne au regard de la nécessité d’approfondir les examens et vérifications des documents à la disposition des compatriotes concernés. Ces contrôles auraient permis de classer les dossiers par catégories afin d’identifier la procédure adaptée à chaque situation. Toutes les familles mises en demeure auraient dû recevoir des courriers d’attente en vue de l’examen minutieux de leurs dossiers. Fort malheureusement et de toute évidence, c’est l’arbitraire qui guide l’action des autorités de la transition, permettant par la même occasion de laisser apparaitre une injustice et une brutalité manifestes à l’égard de certains citoyens guinéens.
A l’arbitraire érigé en boussole de la transition se rajoute de façon complémentaire une forme d’unilatéralisme condescendant. Seule la voix du CNRD compte, aucune contradiction n’est permise tel un camp militaire, reflétant la nostalgie du régime communiste de Sékou Touré et le système du parti et de pensée uniques qui le caractérisait. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que les actions les plus symboliques posées par la junte vont dans le sens de la réhabilitation de ce personnage controversé de l’histoire de notre pays, qu’il s’agisse de lui octroyer le nom de l’aéroport de Conakry, ou de la restitution à sa famille des cases de Belle-vue, décidés avec unilatéralisme.
Cet uniformisme ou unilatéralisme, l’ancienne ministre de la justice et des droits de l’homme, Mme Fatoumata Yarie Soumah l’a appris à ses dépens. Et pourtant, la nation guinéenne est constituée de nombreux intérêts divergents que les gouvernants successifs se sont toujours efforcés à faire tenir ensemble. Là, c’est malheureusement le vivre ensemble qui est malmené en longueur de transition. C’est en cela qu’il faut signifier à ces « apprentis gouvernants » que présider aux destinées d’un État en 2022 avec les méthodes de commandement d’une garnison militaire ne peut mener qu’à l’abîme.
C’est aussi au nom de ce même unilatéralisme que la classe politique est laissée à bonne distance dans la gouvernance de cette période transitoire, y compris sur les sujets essentiellement politiques. Ces hommes et femmes politiques du pays n’ont pourtant jamais cessés de solliciter l’ouverture d’un cadre de dialogue permanent comme la charte octroyée par le roi Mamadi Doumbouya 1er nous y invite dans son article 77. La junte militaire fonce tête basse et se dirige inévitablement tout droit vers un mur. Ce comportement est pourtant le reflet des erreurs de la transition de 2009, alors même que notre chère majesté Doumbouya 1er s’est engagé à éviter les erreurs du passé. Pour une transition annoncée « inclusive », les actes d’aujourd’hui trahissent les mots prononcés au lendemain du coup d’État.
Une société dans laquelle le dialogue n’est pas possible est une société déjà en conflit latent pour paraphraser Mme Makalé Traoré du parti PACT. Nul besoin de rappeler aussi qu’une société dans laquelle règne l’arbitraire est une société despotique. C’est justement l’oppression, le despotisme et l’injustice qui en découle qui ont motivé la plupart des révolutions engagées par les peuples contre leurs gouvernants à travers le monde. Il n’est un secret pour personne que, de la même façon que les guinéens souhaitent ardemment la réussite de la transition, de cette même façon, ils pourraient en majorité se désolidariser de cet arbitraire et des relents de dictature naissante qui semblent guider la transition, en lieu et place de la justice, pourtant annoncée comme sa boussole.
- Plus grave encore, les actions du CNRD et de son gouvernement font apparaitre une supériorité des crimes économiques et financiers par rapport aux crimes de sang.
La mise en place de la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF) est une bonne chose et a été accueillie comme tel par la plupart de nos concitoyens. S’il faut déplorer la théâtralisation qui la caractérise aujourd’hui, l’absence manifeste du secret de l’instruction ainsi que la violation de la présomption d’innocence des personnes citées, cette Cour pourrait tout de même réussir à produire des résultats à terme, à condition que ces défauts précédemment énumérés soient corrigés tout en veillant à garantir le droit à un procès juste et équitable à toutes les personnes mises en cause. Beaucoup s’accordent d’ailleurs à dire que la simple existence de cette juridiction pourrait servir, à tout le moins, d’outil dissuasif dans la lutte contre la corruption dans le pays. Là n’est pas la grande question.
C’est en réalité le peu de considérations dont font l’objet les crimes de sang durant cette transition qui interpelle. La Guinée a en effet enregistré des répressions sanglantes de la part des forces de défense et de sécurité ces dernières années, lesquelles répressions sont restées jusqu’à nos jours impunies. Qu’il s’agisse des pertes en vies humaines enregistrées lors des manifestations de la grève générale de 2007, des massacres du 28 septembre 2009, aux innocents citoyens tués à l’occasion des manifestations contre le 3ème mandat du régime d’Alpha Condé, aucune justice n’est encore intervenue pour les victimes et leurs parents. C’est tout simplement révoltant.
Si le CNRD ne peut être tenu pour seul responsable de cette impunité, la multiplication et la célérité des poursuites avec cette junte pour punir les crimes économiques et financiers laissent penser qu’une hiérarchie est désormais établie dans le traitement des crimes en Guinée. Les crimes économiques et financiers sont brandis en priorité, et pour les crimes de sang, le silence et l’inaction sont de mise. C’est simplement inacceptable. La vie humaine doit être au-dessus de tout, au risque d’enfoncer le pays dans des considérations sans issues.
S’agissant des massacres du 28 septembre 2009, l’ancienne ministre de la Justice et des droits de l’homme, Mme Fatoumata Yarie Soumah, avait pourtant annoncé devant la délégation de la Cour pénale internationale (CPI), fin novembre 2021, que la tenue de ce procès « pouvait être faisable après le mois de mars 2022 ». Le gouvernement reste aujourd’hui mutique sur cette question et ne semble plus vouloir respecter cet engagement. La mission de la CPI avait pourtant exprimé le souhait de voir débuter ce procès dans un délai de trois mois. Il n’en est rien pour l’instant. Compte tenu du manque de volonté affiché par les autorités de la transition, il appartient désormais à la CPI de reprendre ce dossier pour lequel elle avait déjà ouvert « une enquête préliminaire pour crimes contre l’humanité » le 14 octobre 2009.
Mieux encore, l’existence du seul rapport d’audit du CASSE (comité d’audit et de la surveillance des secteurs stratégiques de l’État) a suffi à la CRIEF pour ouvrir une information judiciaire contre les personnes mentionnées dans ledit rapport. Le travail qui a conduit à la rédaction de ce rapport se caractérise pourtant par une absence totale d’observation des règles minimales d’audit, au point d’être qualifié de « journal » par M. Mamadou Sylla. Si un tel rapport a quand même pu servir de base à la CRIEF pour conduire à l’ouverture d’une information judiciaire, comment expliquer que les nombreux rapports des organisations de défense des droits de l’homme, tel celui d’Amnesty international (Marcher et mourir : Urgence de justice pour les victimes de la répression des manifestations en Guinée), n’aient pas conduit à l’ouverture d’une information judiciaire sur les crimes qui y sont dénoncés ? Que dire de la célérité avec laquelle deux personnes ont été interpellées pour répondre de la dégradation d’une caméra de surveillance sur l’axe « Le Prince », alors que de nombreux bourreaux qui se sont livrés à des exactions contre des citoyens guinéens, restaient eux en liberté ? Seule cette hiérarchie désormais établie par le CNRD en faveur des délits ou crimes matériels, économiques et financiers, et sa volonté de garantir l’impunité aux forces de défense et de sécurité, peuvent expliquer ce deux poids deux mesures.
Dans ces conditions, comment qualifier une société dans laquelle la vie d’un être humain est considérée comme inférieure à des infractions matérielles, économiques et financières ? Que penser d’une société dans laquelle les opérations de récupérations des biens supposés de l’État sont érigées en priorité au détriment des procès tant attendus des crimes de sang ? Plus encore, que penser d’un pays dans lequel, ceux qui sont censés incarner l’ordre et la quiétude dans la cité ne sont jamais sanctionnés pour leurs fautes ou crimes ? Les réponses à ces différentes questions permettent d’affirmer qu’une telle société n’est pas désirable sous d’autres cieux et ne doit pas non plus l’être en Guinée.
Pour se limiter à ces deux séries de traits de caractère qui découlent de la transition actuelle, et sans être exhaustif, il apparaît clairement que la société que le CNRD veut instaurer en Guinée est une société despotique, rigide, sans valeurs ni repères dans laquelle les droits de l’homme sont relégués au second rang. Et pourtant, une société sans considération de la vie humaine n’offre aucune perspective d’harmonie entre ses membres. Au contraire, les risques d’affrontements, d’explosion, de fractures irréversibles du tissu social sont les résultats prévisibles de cette société que le CNRD souhaite nous donner à voir. Voulons nous laisser notre pays se diriger toujours plus vers un « agrégat inconstitué de peuples désunis » comme le dirait Mirabeau ?
Je ne sais pas ce que pense nos concitoyens de cette situation, mais moi je ne suis pas prêt à souscrire pour une telle société. Le moment est venu de signifier au CNRD notre refus de la vision qu’il nous offre et d’exiger de cette junte une transition consensuelle et respectueuse des lois de la République.
G.B (LeJour LaNuit)