Les retours récents de Moussa Dadis Camara et Blaise Compaoré dans leurs pays respectifs font penser que, en Afrique, la justice est une denrée rare.
Deux événements récents mettent en lumière le côté sombre des pratiques judiciaires africaines : les visites presque croisées de Blaise Compaoré à Ouagadougou et celle de Moussa Dadis Camara à Conakry. Ces deux anciens chefs d’État sont impliqués dans deux drames majeurs du continent : l’assassinat de Thomas Sankara et les horribles massacres du Stade survenus à Conakry, le 28 septembre 2009. Tous les deux ont quitté leur pays en tant que premiers magistrats, et y reviennent comme simples justiciables, en théorie tout au mois. L’un est condamné à perpétuité, l’autre ne sera peut-être jamais jugé.
Que voulez-vous, nous sommes en Afrique où les citoyens n’ont jamais été perçus de la même manière à travers le prisme de la valeur justice. Le partage y est cruellement inégal, pas seulement devant le buffet, devant la chose jugée aussi, et depuis si longtemps que cela n’offusque plus personne.
Chez nous, il est tout à fait normal qu’un voleur de bicyclette en fuite soit extradé de n’importe quel pays et conduit manu militari en prison et qu’un ancien président condamné à perpétuité revienne se pavaner sur les lieux de son crime avec tous les honneurs qui lui étaient dus quand il était en exercice.
Cirque politico-judiciaire
Il y a une palme tout de même dans ce cirque politico-judiciaire, et c’est au Burkina Faso qu’elle revient. Le « pays des hommes intègres » a eu le mérite de juger les assassins de Thomas Sankara, dont la veuve et les millions d’orphelins peuvent enfin porter le deuil, même si c’est trente-cinq ans après. Je doute que les victimes du Stade du 28 septembre 2009 aient la même chance. Si, de manière générale en Afrique, la justice est une denrée rare, en Guinée, elle est carrément introuvable. On peut même dire, pour parodier les Beatles, que justice et Guinée sont deux mots qui ne vont pas très bien ensemble. Pensez donc, en arrivant au pouvoir en 1958, l’une des premières décisions de Sékou Touré fut de supprimer la fonction d’avocat, en guise de prémonition sans doute, vu le bilan inique et macabre de son long règne.
La palme de l’arbitraire
Il reste que cet inexplicable mépris du droit, cette culture de l’arbitraire, ce retour délibéré à la loi de la jungle, est aujourd’hui si profondément ancré dans les mœurs guinéennes que, en janvier 2007, Lansana Conté s’était permis de se rendre en personne à la prison centrale de Conakry pour en extirper son ami, l’homme d’affaires Mamadou Sylla, condamné pour détournement de fonds publics. Là, en 2020, le lieutenant-colonel Mamadi Douymbouya a dépêché son chef d’état-major général (rien que ça !) pour expulser Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré de leurs domiciles (revendiqués par le patrimoine bâti de l’État) sans tenir compte du recours que ceux-ci avaient interjeté auprès des tribunaux.
Les Guinéens savent que la justice chez eux n’est due qu’à la volonté du chef et qu’ils n’ont rien à espérer de leurs tribunaux. Les bourreaux du Camp Boiro, les hommes de main de Lansana Conté, de Dadis Camara et d’Alpha Condé peuvent dormir tranquilles, nul magistrat ne viendra troubler leur sommeil. Personne n’accorde un crédit à la déclaration que viennent de faire les autorités, selon laquelle un procès sur les massacres du 28 septembre 2009 se tiendrait à la fin de l’hivernage. On sait que non seulement l’intention n’y est pas, mais que le délai n’est pas tenable aussi bien pour des raisons techniques que financières. Le peuple n’y voit qu’une simple commodité pour calmer la colère qui gronde et se mettre, autant que faire se peut, dans les bonnes grâces de la Communauté internationale.
En Afrique, en tout cas en Guinée, le drone reste à inventer, la justice aussi.
* 1986, Grand Prix littéraire d’Afrique noire ex aequo pour « Les Écailles du ciel » ; 2008, Prix Renaudot pour « Le Roi de Kahel » ; 2012, Prix Erckmann-Chatrian et Grand Prix du roman métis pour « Le Terroriste noir » ; 2013, Grand Prix Palatine et prix Ahmadou-Kourouma pour « Le Terroriste noir » ; 2017, Grand Prix de la francophonie pour l’ensemble de son œuvre. Tierno Monénembo vient de publier « Saharienne indigo » aux éditions du Seuil, 334 pages.