Boycott des législatives : l’opposition guinéenne à quitte ou double
En croisade depuis plusieurs mois, avec la société civile, contre un troisième mandat du président Alpha Condé, l’opposition guinéenne a décidé de boycotter les législatives du 16 février prochain. Elle soupçonne, en effet, le chef de l’Etat de vouloir en profiter pour faire passer son projet de modification de la Constitution par voie référendaire, pour s’ouvrir la voie d’une candidature à sa propre succession. Ce boycott s’est traduit par le non-dépôt de listes de candidats à la députation, avec la promesse d’empêcher la tenue du scrutin. Dans le même temps, Celou Dalein Diallo et ses camarades de lutte continuent d’investir la rue pour maintenir la pression sur le chef de l’Etat afin que ce dernier clarifie sa position dans le sens d’un renoncement pur et simple au troisième mandat dont on lui prête l’intention. En rappel, ces manifestations ont laissé, en début de semaine, trois morts sur le carreau ; ce qui a valu la déclaration, par l’opposition, d’une trêve pour porter le deuil des disparus en attendant de remettre le couvert la semaine prochaine.
Avec l’ouverture de la campagne, les dés sont à présent jetés
C’est dans un tel climat de tensions que le président Condé a signé, le 15 janvier dernier, le décret d’ouverture de la campagne qui se déroulera du 16 janvier à 00h au 14 février 2020 à 00h. C’est dire si avec l’ouverture de la campagne, les dés sont à présent jetés puisque le processus semble maintenant irréversible. Et si, dans ses calculs, l’opposition misait sur un éventuel report du scrutin pour espérer revenir dans la compétition, elle peut à présent définitivement tirer une croix sur la course à la conquête du Parlement. Car, tout porte à croire que malgré la clameur, le président Condé qui est toujours resté droit dans ses bottes face à la mobilisation de son peuple tout en faisant la sourde oreille aux appels à la raison, est décidé à aller jusqu’au bout de sa forfaiture qui fait de moins en moins l’objet de doute. Dans ces conditions, il ne reste plus, en toute logique, à l’opposition que la solution d’empêcher la tenue du scrutin. C’est dire si elle joue à quitte ou double.
Car, si elle y parvient, elle pourra toujours espérer se remettre dans le jeu électoral. En outre, cela paraîtra comme une victoire d’étape qui pourrait la renforcer davantage dans sa croisade contre Condé. Autrement, elle aura, par ce boycott, ouvert un boulevard au chef de l’Etat, pour mettre à exécution son plan machiavélique de confiscation du pouvoir afin de se maintenir à la tête de l’Etat. Et il est aisé de s’imaginer que ce dernier ne se gênera pas, même avec un parlement monocolore réduit à être une caisse de résonance de l’Exécutif, de se pavaner au milieu des démocrates du continent.
Cela dit, si l’on peut comprendre la volonté de l’opposition guinéenne de ne pas se laisser abuser par le président Condé visiblement en quête d’opportunité pour tordre le cou à la Constitution dans le but de se maintenir au pouvoir, l’on peut tout de même se demander si la stratégie du boycott est la bonne.
On se demande si la trêve annoncée n’est pas une veillée d’armes qui annonce une grande tempête
Car, l’histoire nous enseigne que la politique de la chaise vide n’a jamais été payante en Afrique. Au contraire, tout porte à croire que c’est la faute à laquelle les dictateurs du continent tentent le plus souvent de pousser leurs opposants pour mieux s’ouvrir le chemin de la victoire sans coup férir lors des consultations électorales. Et dans le cas d’espèce, l’opposition guinéenne risque de n’avoir que ses yeux pour pleurer. Car, on ne voit pas par quels moyens légaux elle pourra encore empêcher la tenue de ce scrutin contesté dont le chef de l’Etat s’est fait la joie d’engager le processus. C’est pourquoi, quand on voit la capacité de mobilisation dont l’opposition a su faire montre dans sa campagne anti-troisième mandat, l’on a des raisons de nourrir de sérieuses craintes pour la Guinée. D’autant que de son côté, le pouvoir qui souffle le chaud et le froid, ne semble toutefois pas vouloir s’en laisser conter. Au point que l’ONG Human Rights Watch a dénoncé, dans son rapport 2019, une répression croissante des libertés de réunion et d’expression, une sortie qui donne de l’urticaire aux autorités de Conakry.
C’est pourquoi l’on se demande si la trêve annoncée n’est pas une veillée d’armes qui annonce une grande tempête. Quoi qu’il en soit, avec la montée en flèche de la tension, la situation en Guinée est devenue fort préoccupante, au point de nourrir l’inquiétude de nombreux observateurs et pas des moindres, comme la France qui en appelle au calme et à la concertation au pays de Sékou Touré. Sera-t-elle entendue ? On attend de voir.
Le Pays