L’avion présidentiel qui a été présenté aux Guinéens mardi 20 décembre 2022 continue à susciter plus de questions que de réponses.
Est ce que l’avion a été achété ou loué?
Nulle part il n’est indiqué que l’avion a été achété. Le communiqué de la Direction de la Communication et de l’Information (DCI) précise que le président de la transition a « réceptionner un avion du type présidentiel acquis pour la République de Guinée« .
Selon les spécialistes, connaitre la nature du contrat est primordial. S’il s’agit d’un avion achété, il faudra le faire enregistrer en Guinée et le certifier pour les vols ce dont les autorités de l’aviation civile guinéenne n’ont pas la capacité pour le moment. Par contre , s’il s’agit d’une location – en anglais » lease », la location peut inclure l’équipage et la maintenance « wet lease » ou seulement l’appareil « dry lease ». Dans les deux cas le prêteur a titre de propriété de l’aéronef durant le contrat. Le gouvernement s’est tu sur cet aspect.
L’avion est il vraiment guinéen?
La question est aussi pertinente. L’immatriculaton de l’avion indique « C9-SPM ». D’après la nomenclature de l’IAATA, le préfixe « C9 » est pour les avions immatriculés au Mozambique. Le préfixe de la Guinée est « 3X ». Le processus d’immatriculation comporte 2 étapes: la désinscription – en anglais “deregistration” – qui doit venir des autorités de l’aviation civile mozambicaine. Une fois l’avion désinscrit du Mozambique, la Direction Générale de l’Aviation Civile de la Guinée prend le relais et examine tous les documents techniques pour voir si l’avion est aux normes internationales. Le cahier technique – en anglais « log book », les révisions obligatoires – en anglais AMP Aircraft Maintenance Program – , le dossier du fabricant – Embraer, l’inspection des moteurs, des ailes, du train d’atterrissage, etc… bref tout ce qui concerne la fiabilité de l’avion- doit être examiné par des inspecteurs certifiés. Une fois tout cela est confirmé, l’aviation guinéenne délivre – si elle est autorisée par l’Organisation de l’Aviation Civile I nternationale (OACI) – le CDN – certificat de Navigabilité – en anglais « CAW – Certificate of Airworthiness ». Rien n’indique que cela a eu lieu.
La Guinée ne peut pas délivrer de certificat de vol
L’autre écueil est que la Guinée n’est pas autorisée à contrôler les obligations techniques des aéronefs. L’Aviation civile guinéenne – présentement en voie de certification par l’OACI – n’est pas pour le moment en mesure de délivrer les certificats par manque de personnel qualifié, quoique la nouvelle direction fait des efforts pour en arriver à la certification. Cela signifie que même si l’avion est immatriculé en Guinée – ce qui ne l’est pas pour le moment – la Guinée sera obligée de demander à une autre aviation civile de leur délivrer un certificat de vol pour commencer les opérations. Il reste donc logique pour les autorités guinéennes de louer un avion mozambicain jusqu’è ce que la Guinée soit à nouveau dans les normes internationales. Cela peut prendre des mois voire des années.
La maintenance: un sérieux et coûteux obstacle!
Comme les autorités guinéennes sont restées muettes sur le mode d’acquisition des avions, si la Guinée est bel et bien propriétaire de l’avion, les autorités doivent savoir qu’il y a des coûts et contraintes énormes pour la maintenance des avions. Selon des spécialistes, ce n’est pas une partie de plaisir et beaucoup d’obstacles existent pour maintenir la navigabilité dans les normes internationales.
Selon ces spécialistes, la maintenance est l’aspect le plus important dans la gestion des avions. Ce qui explique les difficultés financières pour plusieurs compagnies africaines et d’ailleurs de survivre à la compétition brutale. « La Guinée ne dispose pas de MRO – de l’anglais Maintenance Repair Organisation – ces centres d’inspection des avions qui sont certifiés par l’OACI – donc ne peut pas certifier les avions. Pour cela, il faudra les envoyer soit en Europe, au Brésil, ou en Ethiopie – ce dernier étant l’un des rares pays africains autorisés à certifier la maintenance. » Les avions de l’ancien Air Guinée étaient maintenus à des coûts très élevés en Ireland ou en Israel, ce qui a contribué à la faillite de la compagnie nationale. Et d’ajouter « le personel de navigation lui aussi doit être évalué du point de vue sécurité, formation, visite médicale… tout cela certifié par un CRM – de l’anglais Crew Resources management. »
Sur le plan non technique, la question posée et qui brûle toutes les lèvres: « A combien cet appareil a-t-il été acheté ou loué? ». Et « Qui est le vendeur ou le loueur? »
Même si le ministre du budget a lâché quelques bribes d’informations en révélant aux membres du CNT qu’une compagnie minière aurait « offert gracieusement » 3 avions à la Guinée, cela relève plutôt d’une flagrante contradiction avec les normes de la bonne gouvernance.
Sur quelle ligne budgétaire cette transaction relève-t-elle? Même offerte, il est évident qu’il y aura des contreparties.
Même si la compagnie minière offre des avions à la Guinée, il n’en demeure pas moins qu’elle restera la véritable propriétaire jusqu’à ce qu’elle obtienne ce qu’elle veut.
Il y a d’autres questions sans réponses : Est ce qu’il y a eu appel d’offre pour avoir le meilleur deal? Est ce que le contrat sera rendu public? Qui gérera cet aéronef? Une compagnie aérienne nationale qui sera créée ou bien le « généreux donateur »? Qui va payer pour la maintenance? Les pilotes? etc…
La bonne nouvelle pour les enthousiastes de l’aviation en Guinée est que la présence de cet avion va accélérer la rénovation des aéroports régionaux qui doivent obligatoirement être mis à neuf pour les déplacements du président et des membres du gouvernement à l’intérieur du pays comme l’état des routes guinéennes laissent toujours à désirer.
En outre, la reprise du trafic aérien domestique fera baisser le trafic routier. Toute chose qui donnera une certaine longévité aux routes nationales construites.
Aux dernières nouvelles l’avion aurait quitté le tarmac de l’aéroport de Conakry pour un e destination inconnue afin de parfaire l’aménagement de l’intérieur en “classe présidentielle” et pour une révision technique obligatoire. Le coût total de l’opération est tenu secret.