A l’occasion du 2ème anniversaire de la prise du pouvoir par les forces spéciales en Guinée, le 5 septembre 2021, il me paraît opportun de jeter un regard critique sur les changements apportés par le régime CNRD dans les différents aspects de la vie politique, économique et sociale du pays.
Pour mener à bien cet exercice de manière objective, il importe de rappeler, ne serait-ce que brièvement, l’état du pays tel qu’il apparaissait à la veille du renversement du Président Alpha Condé, le 5 septembre 2021.
Selon le CNRD, au moment où il accédait au Pouvoir, la situation Guinéenne était catastrophique, minée par de graves dysfonctionnements. Cette situation inacceptable a amenée, selon toute vraisemblance, pour la 3ème fois, l’armée Guinéene à passer à l’action et à s’emparer du pouvoir le 5 septembre 2021. Dans le tout premier communiqué radiodiffusé à cette date, le CNRD, nouvel organe dirigeant avec à sa tête le Colonel Mamadi Doumbouya, dénonçait la gestion du régime déchu, qualifiée de catastrophique. Celle-ci était, à en croire à ce communiqué et les suivants, caractérisée par plusieurs maux dont le dysfonctionnement des institutions, la politisation excessive de l’administration, la personnalisation du Pouvoir, la dérive dictatoriale, la mauvaise Gouvernance fortement marquée par la gabegie, la corruption, le détournement et l’impunité. Dans la même lancée, le nouveau pouvoir kaki dénonçait une justice aux ordres, la trop grande méfiance entre Guinéens ayant entraîné un sérieux effritement du tissu social et de la solidarité nationale.
Au-delà de ces maux qui, selon le CNRD, avaient gangrené la gouvernance de l’ancien régime, il faut avouer cependant que le secteur économique semblait relativement solide. En effet, après 11 années de règne du Président Alpha Condé, interrompu brutalement, l’économie Guinéenne, dopée par d’importants investissements dans les secteurs des mines, de l’énergie, des infrastructures notamment routières, affichait une croissance remarquable qui avait induit une réelle amélioration des conditions de vie
des populations jusque dans le monde rural. Le secteur de l’agriculture, axe prioritaire, avait, en effet, bénéficié de financements importants, ayant permis une diversification de la production agricole ainsi qu’une amélioration des rendements et du volume de la production agricole.
À contrario de cette relative embellie économique, c’est au plan politique que l’on relevait de fortes crispations qui avaient exacerbé les tensions ethniques et fragilisé la paix sociale. C’est dans ce contexte qu’est intervenu brutalement, et au moment où on s’y attendait le moins, le coup d’État exclusivement mené par les forces spéciales du Colonel Mamadi Doumbouya. La surprise était d’autant plus grande qu’il est survenu après une réforme réussie de l’armée engagée dès les premières années du règne du Président déchu.
Cette prise de pouvoir par les militaires, dont on espérait et attendait beaucoup et dont tout le monde souhaite qu’elle soit la dernière irruption de la Grande muette sur la scène publique, suscite de nombreuses questions au plan de la transition proprement dite initiée par le CNRD.
Après deux années de gestion pleine et effective du pays par le CNRD, au nom des forces armées, quels sont les changements apportés, les progrès réalisés dans les domaines politique, économique et social ?
Qu’est-ce qui a fondamentalement changé dans la vie du citoyen lambda ?
Quel est le bilan aujourd’hui de deux années de gestion de l’armée, sous la direction du colonel Mamadi ?
Qu’en est-il de la mise en œuvre de la feuille de route déclinée au lendemain de la prise du pouvoir par le CNRD d’une part, du respect des engagements pris par les forces armées, d’autre part ?
A-t-on, au plan de la mobilisation du financement nécessaire à l’accomplissement de la feuille de route, obtenu des résultats significatifs à ce jour ?
Concernant la Gouvernance, est-elle devenue plus vertueuse qu’avant ?
A-t-on pu éradiquer définitivement les causes des maux, des cancers dénoncés avec véhémence par le CNRD comme gangrenant la gestion du pays et impactant négativement le développement socio-économique de la Guinée sous l’ère du Président Alpha Condé ?
La solidarité nationale est-elle devenue effective ?
La faiblesse qui avait été déplorée, est-elle devenue effective depuis ?
Par ailleurs, la méfiance qui subsistait entre les Guinéens et qui les empêchait de s’aimer, de se parler, cette barrière psychologique, a-t-elle été levée afin que les Guinéens désormais se parlent et se regardent en face ?
La démocratie et l’état de droit sont-ils devenus sous le règne du CNRD des pratiques courantes ancrées dorénavant dans les mœurs politiques de la Guinée ?
La justice, hier aux ordres, est-elle devenue la boussole, comme l’avait promis le Colonel à sa prise du pouvoir ?
Qu’en est-il de l’amélioration des conditions de vie des populations guinéennes, de la réduction de la pauvreté, de l’éradication de la misère, d’une meilleure protection des couches vulnérables (les femmes et les jeunes) ?
Ces questions, qui hier constituaient des préoccupations gouvernementales importantes, revêtent-elles encore un degré de priorité plus élevé dans la politique sociale poursuivie par les nouvelles autorités du CNRD ?
A-t-on par ailleurs réussi au cours de la période à améliorer la qualité de vie du Guinéen, à accroître son revenu par capital ?
Quel est le niveau de l’indice de développement humain de la Guinée par rapport à celui des autres pays figurant dans le classement des Nations Unies ?
Est-ce la gestion de la chose publique a-t-elle été améliorée pendant la période, de manière à éradiquer suffisamment les maux dont elle souffrait par le passé, c’est à dire la gabegie ?
La moralisation de la gestion de la chose publique est-elle désormais rentrée dans les mœurs de la nouvelle administration dite rajeunie ?
Je note cependant qu’il est absurde d’accuser l’ancien régime de détournements, de corruption, de gabegie et reconduire systématiquement dans leurs fonctions, les mêmes chefs de DAAF, véritables chevilles ouvrières des montages financiers.
D’autre part, les innombrables dossiers ou affaires de détournements énoncés et transmis par le Garde des Sceaux à la CRIEF et aux tribunaux ordinaires, semblent se traiter dans l’opacité sinon dans l’affairisme ambiant. Il est simplement incompréhensible que quelques anciens dignitaires soient incarcérés et d’autres également cités et ciblés par des dossiers soient libres.
À l’image du procès des événements du 28 septembre 2009, dans la clarté, la transparence absolue, il est important, 2 ans après, que tous les anciens dignitaires soient traités à la même enseignes, que toutes les affaires soient jugées publiquement. Que les coupables soient condamnés et les innocents rétablis dans leurs droits de citoyens. 2 ans après, cette justice à géométrie variable, trahie l’engagement du Colonel Mamadi Doumbouya quand il prenait le pouvoir et se voulait sincère. Le Président du CNRD est également trahie par tous ces collaborateurs qui autour de lui s’illustrent dans l’enrichissement manifeste insolent, flagrant et vulgaire au vu et au su des populations dans les quartiers de Conakry et villages dans l’acquisition effrénée des domaines et plantations.
En ce 2ème anniversaire, le Président du CNRD est plus interpeller à prendre des précautions par à des actes et attitudes de proches malhonnêtes qui risquent d’être compromettants demain.
Concernant les investissements, est-ce qu’ils se sont accrus de manière significative au cours de ces deux dernières années, pour booster la croissance économique du pays ?
La Guinée, de ce point de vue, reste-t-elle encore une bonne destination pour l’investissement direct étranger sous le règne politique actuel ?
De passage, et à ce sujet, il faut souligner que sous l’ancien régime, l’investissement direct étranger avait atteint un niveau remarquable grâce à une amélioration conséquente du climat des affaires en Guinée.
Par ailleurs, a-t-on entrepris une réflexion approfondie sur les perspectives de relance vigoureuse de l’économie Guinéenne, ainsi que sur les modalités d’accroître son attractivité ?
Dans le domaine des infrastructures, tout secteur confondu, hormis les projets hérités de l’ancien régime qui étaient en chantier et en portefeuille, a-t-on initié de nouveaux ?
Telles sont quelques-unes des questions que je soulève, à l’effet d’interpeller le CNRD et son Gouvernement à l’aube de la troisième année de la prise du pouvoir, afin d’une plus grande efficacité dans la conduite d’une transition inclusive en Guinée. Mon souci est aussi de susciter une participation la plus large possible à cet exercice, à cette cogitation, afin que chacun puisse apprécier objectivement le chemin parcouru, les réussites de l’armée et le respect des engagements pris devant le peuple de Guinée. Les réponses officielles, si elles étaient systématiques, pourraient convaincre les acteurs de la communauté internationale sur la détermination et la volonté des nouvelles autorités à suivre la trajectoire esquissée à la prise du pouvoir. Le questionnement soulevé serait incomplet si toutefois celui concernant l’importante question relative au respect du calendrier décliné et convenu face aux Guinéens pour le retour à la vie constitutionnelle n’était pas évoqué. À ce propos, on peut légitimement s’interroger sur le respect du chronogramme annoncé et convenu avec l’institution sous-régionale, à savoir la CEDEAO, qui plus qu’un engagement demeure un serment d’honneur du soldat face à la Nation Guinéenne, seule référence, et DIEU, JUGE SUPRÊME. Comme de nombreux Guinéens, je crois jusqu’à preuve du contraire à l’honneur attaché au serment du soldat ; cependant, aux vues des actions déjà réalisées à ce jour, je suis saisi de doute. En effet, on observe qu’en termes de volume et de nombre d’actions inscrites au chronogramme, le niveau de réalisation paraît faible et se situe très en deçà du niveau qui devrait, à l’heure actuelle, avoir été réalisé. Aucune action décisive ne semble avoir été posée ou réalisée entièrement à ce jour, qu’il s’agisse du recensement de la population, de la rédaction de la future Constitution ou de la révision du fichier électoral, a plus forte raison du calendrier des échéances électorales (communales, législatives, présidentielles, etc.). Il est dès lors important que le flou actuel soit dissipé et que des clarifications soient apportées aux différentes interrogations, notamment celles concernant la future Constitution, le calendrier et l’ordre de priorité qui sera suivi. À l’heure actuelle, on a tout juste le sentiment que la Transition excédera la période annoncée, qu’elle ira selon toute vraisemblance au-delà de ce qui est convenu et décliné initialement en accord avec la communauté internationale, en particulier avec la CEDEAO. Concernant le paysage politique, il est tributaire des mesures d’interdiction répétées qui l’ont anesthésié, si bien que la situation qui prévaut est bridée par des restrictions des libertés, notamment des leaders politiques des principales formations politiques, qui sont sinon embastillés tout simplement contraints à l’exil forcé. Dans un tel contexte, la démocratie peine à s’affirmer, dans la mesure où les manifestations de rue de nature politique sont des droits universellement consacrés même par la Charte de la Transition qui fait actuellement office de texte réglementaire de la vie publique en Guinée. De telles interdictions constituent des fuites en avant. Elles doivent dès lors être levées pour permettre aux formations politiques de bien s’encadrer, afin que celles qu’elles organisent garantissent le bon déroulement sans être nullement des menaces à la stabilité et à la paix dans le pays. La préservation de celles-ci doit aller de pair avec la construction et la consolidation de la démocratie Guinéenne pluraliste. S’agissant enfin des libertés individuelles, elles sont limitées dans leur exercice. Toutes ces questions, ces préoccupations interpellent le CNRD et son Gouvernement. Le silence autour de celles-ci doit être rompu à l’occasion du deuxième anniversaire. Le locataire du Palais Mohammed VI doit, face à ces multiples interrogations, saisir l’occasion solennelle que lui offre cet anniversaire pour éclairer la lanterne de ses concitoyens sur les bruits qui agitent la cité, concernant entre autres une éventuelle ambition politique qu’on lui prête de vouloir, par une farce électorale, concéder le pouvoir aux termes de la Transition. Les Guinéens attendent aussi du régime CNRD une détermination renouvelée de son engagement à finaliser le processus d’élaboration et d’adoption de la nouvelle Constitution, indispensable pour un retour rapide à une vie politique normale. Celle-ci requiert une implication, mieux une participation inclusive de tous les acteurs politiques notamment. C’est de cette manière seulement que la Guinée pourra sortir de l’éclipse dans laquelle le pays ne cesse de s’engouffrer.
Je me félicite, par ailleurs, des progrès réalisés depuis la prise du pouvoir dans certaines mesures de la préservation et la consolidation de la paix et la sécurité à Conakry et dans l’arrière-pays. Des changements positifs importants ont déjà été réalisés, notamment en ce qui concerne les actions énoncées dans les premiers discours du Président du CNRD. Je pense à la mise en place des institutions, le CNT, du gouvernement, et du fonctionnement de la nation. J’ai aussi en mémoire la poursuite et l’achèvement des actions héritées de l’ancien régime, principalement des travaux d’infrastructures, des travaux d’embellissement de Conakry, et aussi le règlement à l’amiable de l’épineux problème du projet Simandou. La réalisation de ce méga-projet, si elle devenait effective, serait de nature à impulser davantage la croissance économique et à offrir beaucoup d’opportunités d’emplois susceptibles de réduire le chômage des jeunes. Il est important qu’au cours de la troisième année de la prise du pouvoir par le CNRD, qui commence, que davantage d’efforts soient portés sur la mise en œuvre de la Transition, notamment en ce qui concerne la mobilisation des énormes ressources nécessaires à sa réalisation.
Cette action doit bénéficier de l’accompagnement des partenaires qui généralement subordonnent leur engagement à la pertinence et à la cohérence des actions figurant au document de projet, si possible assorti d’un chronogramme réaliste, pragmatique nullement contraignant. De telles mesures, donnant plus de clarté et de visibilité, seraient de nature à obtenir un engagement plus ferme de leur part.
Eu égard à l’importance de la mobilisation des fonds indispensables à la mise en œuvre de la feuille de route, des dispositions urgentes doivent être prises le plus tôt possible si elles ne le sont pas déjà. Par rapport à l’état de mise en œuvre de la feuille de route, le CNRD doit dès à présent engager un processus d’explication en vue de convaincre l’ensemble des acteurs politiques et sociaux de la nécessité de prolonger la durée de la Transition pour une période qui lui reviendra de déterminer. Parallèlement à cette démarche, le Gouvernement du CNRD saisira la communauté internationale, notamment la CEDEAO, l’Union africaine, les Nations unies, pour leur soumettre un document fourni à l’appui de la demande d’une prolongation de la durée de la Transition. Une telle démarche, quoique difficile, aura le mérite de restaurer la confiance des partenaires dont l’accompagnement est indispensable.
La réussite de la transition, ne nous leurrons point, est un impératif politique majeur pour la Guinée. Il faut dès lors annoncer clairement la couleur et sortir du flou pour obtenir l’engagement de toutes les parties prenantes au processus de transition en cours. Le destin de la Guinée, son avenir, en dépendent. Il est de la responsabilité régalienne et historique de l’armée de réussir cette 3ème et dernière transition. Elle doit en être convaincue et consciente des enjeux, et apporter par conséquent tout le sérieux pour la gestion éclairée, efficace et inclusive de la Transition. Le peuple, malgré l’impatience que manifeste la classe politique toute entière, est cependant disposé à consentir des sacrifices pour donner toutes les chances de réussite à l’armée. C’est à elle d’indiquer de manière transparente ce dont elle a besoin pour conclure sa mission historique de manière indépendante sans compromettre notre souveraineté chèrement acquise. Et pour paraphraser un illustre homme politique Guinéen, la transition n’est pas une course de vitesse mais une course de fond permettant à terme de poser les fondations pérennes de la Nation Guinéenne, suffisamment solide pour résister aux tentations monarchiques et aux convulsions politiques. Tout échec de la Transition serait catastrophique et lourd de conséquences, compromettant durablement la stabilité, la paix et l’avenir de la Guinée en tant qu’État. Puisse Dieu guider les pas pris par l’armée afin qu’elle assume ses responsabilités historiques face à la Nation conformément à l’engagement solennel fait. Tel est, me semble-t-il, le vœu ardent de l’ensemble des populations Guinéennes. C’est aussi la voie à suivre par le Colonel Mamadi Doumbouya s’il souhaite que l’histoire retienne de lui l’image d’un vrai et digne Fakoly.
Vive le deuxième anniversaire du CNRD ! Vive la Guinée ! Que Dieu bénisse notre pays, la Guinée. Amen